Décembre 2008
Méditerranée / MUZZIKA!
Une découverte ce mois-ci: António Zambujo, qui chante des chansons portugaises qui vous chavirent le coeur. Un album du saxophoniste belge d’origine sicilienne Pierre Vaiana, “Al Funduq”, hommage aux marchands de Méditerranée, qui transportaient avec eux, d’un point à un autre, des marchandises, mais aussi des traditions musicales et poétiques... Un album, qu’apprécieront les ethnomusicologues, consacrés aux “chants des charretiers” de Sicile, genre musical qui perdure alors que le métier, lui, a disparu. Akim El Sikameya, venu d’Oran à Paris il y a une dizaine d’années, fait revivre la chanson algérienne qui se chantait dans les cabarets et dans la bonne humeur, pied de nez à certains rabats-joie qui voudraient faire taire nos bardes d’Orient, sous couvert de morale. Kamilya Jubran, qui fut pendant 20 ans la voix du groupe palestinien engagé Sabreen, nous offre un album solo où elle laisse libre cours à sa passion pour la poésie arabe accompagnée du seul ‘oud. Autre amoureux de poésie arabe, le Syrien Abed Azrié, qui, avec la même démarche que tant d’artistes arabes aujourd’hui, fait revivre un patrimoine - ici la poésie soufie, qui chante toutes les formes d’amour, et la tolérance religieuse - comme un rappel de leçon d’Histoire...
Introducing AKIM EL SIKAMEYA, World Music Network/Distrib.Harmonia Mundi
Ca commence bien: un accordéon festif et joyeux (celui de Philippe Eidel) accompagne Akim el Sikameya qui nous chante la très dansante “Chouia l’mon coeur, chouia l’Bon Dieu” (et vlan pour les islamistes!), dans la plus pure tradition de la chanson algérienne d’avant l’Indépendance, quand français et algérien se mêlaient sans problème, pour les paroles comme pour la musique. Alors que les idéologies post-Indépendance avaient soigneusement évité de mélanger ces deux univers, la montée des intégrismes et des crispations identitaires, dans un pays qui a perdu 200 à 300.000 âmes dans la guerre civile des années 90, a
eu comme résultat, pour contrer les idéologies intégristes de “pureté” et d’exclusion, qui font froid dans le dos, de réhabiliter le style “francarabe” dans la musique algérienne, associé - à tort - à la présence coloniale, quand il était surtout le fait de musiciens algériens natifs du pays, qui s’exprimaient en français comme aujourd’hui des chanteurs de rock parisiens chanteraient en anglais, pour faire moderne et dans le vent de l’époque... Akim El Sikameya, né à Oran, capitale de la musique, de la nuit et des plaisirs qui leur sont associés, s’affirme donc ici comme le fils naturel de Blond-Blond, de Reinette l’Oranaise, de Line Monty, et autres grands artistes d’avant l’Indépendance, qui surent opérer une fusion - avant que ce mot soit associé à la “world music” ! - entre traditions musicales arabo-andalouses, chanson française, et “world music” de l’époque - ici, un clin d’oeil au tango, succès mondial dans les années 40, et aux musiques espagnoles, si présentes à Oran autrefois, artistes dont les paroles de chansons étaient parfois bien plus coquines que celles de Akim ! Ainsi dans “Le ruban noir”: “Ta peau de miel et de soie/Et ta bouche de velours/Ont la douceur des beaux jours” (...) “Elle se déhanche contre moi/Et je vois les doux attraits du bonheur”... Cette démarche - et la musique bien sûr - ont séduit le label britannique World Music Network, qui y voit un acte courageux contre l’intégrisme qui menace l’Algérie. C’est vrai. Mais rappelons-leur que ces paroles sont dans le droit fil de toute la poésie d’amour arabo-andalouse depuis le Moyen-Age, et que c’est l’austérité intégriste qui est l’exception plutôt que la règle dans les sociétés arabes... Bref: nostalgiques et amoureux de la chanson algérienne joyeuse et bonne vivante, cet album est pour vous ! Et pour ceux qui habitent Paris: l’artiste anime les nuits de la Bellevilloise
, lieu de spectacles dans le nord de Paris, et y invite ses amis chaque semaine... |